La Bible est omniprésente dans la civilisation médiévale. Avant la période carolingienne, le texte biblique, texte sacré et faisant autorité, est ainsi soigneusement transmis de génération en génération. La Renaissance carolingienne représente une rupture dans l'histoire de la transmission du texte biblique. La Bible est alors copiée, révisée et étudiée pour la lire dans sa pureté originelle. La Bible doit alors s'imposer comme le livre d'une société tout entière, chrétiens ou pas. L'intérêt de Charlemagne pour le texte biblique s'explique principalement par l'enjeu politique, unifier son empire géographiquement et religieusement par la liturgie romaine. Mais ce mouvement de renaissance ne suscite pas l'émergence d'une véritable culture laïque indépendante. La réforme vient d'en haut et passe uniquement par la hiérarchie religieuse de l'empire.
Le roi est considéré comme le mandataire de Dieu auprès de tous les hommes. A ce titre, il doit s'efforcer de favoriser le salut de ses sujets, mais il établit également son autorité sur toute l'Eglise et sa supériorité face au Pape. La supériorité du temporel face au spirituel est défendue par Alcuin, Théodulf et d'autres conseillers. Pour favoriser sa réforme, Charlemagne ordonne qu'un soin particulier soit accordé à l'éducation des clercs, que des bibliothèques se constituent dans tous les monastères et évêchés, et enfin que des scriptoria se développent afin d'aider à la transmission des textes bibliques et liturgiques, qui doivent être en outre corrigés. Il encouragea aussi les sciences dans le seul but d'une meilleur connaissance des voies de Dieu.
Il n'existe pas chez Charlemagne de volonté de faire réaliser une édition "critique" de la Bible, selon notre terme actuel, ou de faire étudier les variantes du texte biblique. Il s'agit bien plus de rétablir une orthographe, une syntaxe et une graphie correctes. C'est précisément cette préoccupation de rétablissement de l'orthographe et de la syntaxe qui anime Alcuin lorsqu'il entreprend ses révisions bibliques. Alcuin (19 mai), Théodulf (18 décembre), et d'autres lettrés entreprennent sous l'impulsion impériale des révisions du texte biblique, en se fixant pour but de retrouver le texte établi par Jérôme. La postérité des Bibles d'Alcuin imposeront la version hiéronymienne de la Bible à l'Occident, au détriment des versions vieilles- latines.
Les révisons d'Alcuin et de Théofulf ne sont donc pas isolées. Ils sont devancés par Maudramne, abbé de Corbie de 772 à 781, dont le texte utilise pour la première fois connue la minuscule caroline ; par l'ensemble de manuscrits, connu sous le nom de "groupe d'Ada", produit peut-être à Aix-la-Chapelle entre 781 environ et 814 ; et par Angilram, évêque de Metz, mort en 791, avec une bible en un seul volume comme le feront Alcuin et Théodulf.
L'influence des Bibles d'Alcuin est due très largement à la prééminence du scriptorium de Tours, à l'adoption de la minuscule caroline et à la grande renommée d'érudit qu'Alcuin a acquise. D'origine anglo-saxonne, Alcuin, né à York dans le Northumberland de l'époque, est un très proche conseiller de Charlemagne. Il multiplie les missions pour Charlemagne, accumule les charges abbatiales, et enfin il devient abbé de Saint-Martin-de-Tours à partir de 796, où il réside jusqu'à sa mort en 804. Ses liens avec l'Angleterre n'ont jamais été rompus malgré ses nombreuses responsabilités dans l'Empire carolingien: il y conserve des correspondants, et en fait venir des moines et des manuscrits. Son rôle dans la mise en œuvre de la réforme carolingienne, en inspirant de nombreuses décisions royales, est décisif.
Pour la fête de Noël 801, Alcuin offre à l'Empereur, alors à Aix-la-Chapelle, par l'intermédiaire de son disciple Frédegise, une édition complète de la Bible, accompagnée d'une lettre de dédicace à Charles. Ses Bibles sont réalisées en un seul volume, le texte est disposé en en deux colonnes, l'écriture utilisée est la minuscule caroline. Sous l'abbatiat de Frédegise (807-834), disciple d'Alcuin, les paragraphes sont hiérarchisés à l'aide de majuscules de tailles différentes. Lors des abbatiats du comte Adalhard (834-843), et du comte Vivien (843-851), les manuscrits s'enrichissent d'ornements et d'enluminures. Les pillages normands (en 853, 872, et en 903) mettent fin à la riche production du scriptorium de Saint-Martin-de-Tours dont l'activité ne reprend que dans la deuxième moitié du Xème siècle, mais dans la pauvreté. Alcuin utilisait des manuscrits existant dans le Nord de la France à son époque, peut- être utilise-t-il également une Bible northumbrienne, car on sait qu'il fait venir des manuscrits de Northumbrie en 797.
La révision du texte biblique de Théodulf est plus "scientifique" selon nos critères actuels que celle d'Alcuin. L'évêque d'Orléans, depuis 798, réalise un travail de critique textuel important, dépassant les prescriptions de Charlemagne. Son travail est interrompu par sa déposition et son exil en 818. Théodulf cherche à diffuser la meilleure version transmise du texte biblique, en comparant les manuscrits et les différentes leçons qu'il peut recenser, ne cherchant pas à établir une nouvelle traduction biblique - il ne lit ni le grec ni l'hébreu. Six Bibles de Théodulf nous sont parvenues. Remarquables réalisations calligraphiques et artistiques, elles comportent d'abondantes gloses marginales minutieuses, organisées selon un système d'abréviations et de renvois, afin de recenser les différentes leçons. Leur format, plus petit que chez Alcuin, est relativement réduit de manière à être facilement consultable. L'écriture employée est une minuscule caroline d'influence wisigothique. On relève aussi dans les six manuscrits des particularités orthographiques dénotant des habitudes wisigothiques, Théodulf ayant conservé de nombreux liens avec sa région d'origine, que ce soit l'Espagne ou la Septimanie. Le texte biblique transmis par les six manuscrits bibliques issus du scriptorium de l'évêque d'Orléans est celui de la vulgate, à l'exception du livre de Baruch (28 septembre) qui est donné dans une version vieille-latine.
L'évêque d'Orléans conçoit ses Bibles comme des instruments de travail en vue d'une réflexion théologique, exégétique, et ne les imagine pas comme des instruments figés, ce qui explique la diffusion relativement limitée des Bibles de Théodulf.
Tel le roi Josias, Charlemagne rétablit la Loi à l'intérieur de l'Empire, et diffuse le texte sacré, dans la cadre de cette réforme religieuse qui exige la purification et l'unification des pratiques religieuses et la réorganisation des cultes. La réforme religieuse voulue par Charlemagne est donc un succès si l'on se place du point de vue de l'histoire du texte biblique. Les Carolingiens lèguent un texte biblique corrigé et mis en ordre. Les révisions bibliques de Maudramne, d'Angilram et celle de Théodulf, de grande qualité scientifique, ne peuvent faire face à la concurrence des Bibles alcuiniennes, qui s'imposent grâce à l'extrême vitalité du scriptorium de Tours et à la grande qualité des bibles alcuiniennes sur le plan matériel. La grande avancée de la réforme carolingienne c'est d'avoir permis une interrogation féconde sur le texte biblique. Le renouvellement des études bibliques rend possible le formidable développement des études exégétiques à l'époque carolingienne.
Sources
Caroline Chevalier, Les révisions bibliques carolingiennes, http://www.scielo.org.ar/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0327-50942006000100001&lng=es&nrm=iso&tlng=fr