Etrangement, c’est aussi par le lieu de décès de Cagliostro que celui-ci est rattaché aux nonagones, italiens cette fois. Cagliostro mourut emprisonné dans la forteresse de San Leo dans le Montefeltro, en 1795. Sa vie nous est connue par Carlyle et l’Inquisiteur qui l’interrogea avant de l’envoyé en prison. De son vrai nom Giuseppe (Beppo) Balsamo, il est né à Palerme en 1743. Véritable voyou, il est envoyé au séminaire de Saint-Roch à l’âge de 12 ans. S’il y apprend les lettres, il ne manque pas de s’enfuir pour être placé ensuite chez l’apothicaire du couvent des Benfratelli. Il en sera chassé, mais aura bien appris de son maître. Le métier de peintre en lettres ne rapportant pas assez, il se fait proxénète et même une vie violente. Il embobine un orfèvre et recherche des trésors avec lui dans une caverne, la nuit. Puis il se met à voyager au Proche-Orient et se retrouve à Rome où il vend des reproductions. Son mariage avec Lorenza Feliciani, héritière d’un fabricant de ceinture, les transforme tout les deux en comte Alexandre et comtesse Seraphina de Cagliostro.
« Mon nom, celui qui est à moi et de moi, celui que j’ai choisi pour paraître au milieu de vous, voilà celui que je réclame. Celui dont on m’appela à ma naissance, celui qu’on m’a donné dans ma jeunesse, ceux sous lesquels, en d’autres temps et lieux, je fus connu, je les ai laissés, comme j’aurais laissé des vêtements démodés et désormais inutiles [1]».
Le comte se dit fils putatif du dernier roi de Trébizonde, et aurait reçut le titre d’Enfant Infortuné de la Nature du shérif de la Mecque qui lui enseigna la sagesse cabalistique. Le sage grec Althotas lui dévoila les arcanes de l’alchimie à Damas et l’accompagna à Malte où ils œuvrèrent dans le laboratoire souterrain des Chevaliers de la Connaissance. Logeant chez le beau-père qui les chassa, le couple vivait jusque là de chiromancie. Alexandre et Seraphina partirent alors en carrosse noir blasonné d’or, accompagnés de valets en livrée à travers l’Europe. Cagliostro rentre à Palerme pour profiter de ses gains tranquillement. Mais il est jeté en prison pour sorcellerie et faux-monnayage. Escroc ou initié ? Pierre Riffard parle de possibles occultations des initiés sous l’apparence de marginaux, fous, voyous, ou asociaux[2].
Le président de la loge maçonnique de Palerme est convaincu par Seraphina d’arracher son mari des griffes des magistrats. Cagliostro est libéré et repart sur les routes en carrosse avec sa femme. En 1777, Cagliostro est à Londres où il est reçu dans la franc-maçonnerie. A Mitau en Courlande, il fréquente un cénacle d’alchimiste devant lequel il fait apparaître les anges tant attendus. Sa loge maçonnique égyptienne fait fureur. Les adeptes se multiplient. Même s’il connaît des rebuffades à Varsovie ou Saint-Pétersbourg, Berlin, Vienne et Francfort lui font un triomphe. La rumeur en fait le fils de l’ancien grand maître de l’ordre de Malte de 1741 à 1773, dom Manoe Pinto de Fonseca, auquel la légende attribue les pouvoirs de nécromancien et de magicien. Grand bâtisseur à qui l’on doit entre autres le palais de Justice de La Valette, lui aurait laissé son immense fortune. On peut voir ses armes, surmontées de la couronne royale fermée qu’il est le premier à arborer, qui surmontent une porte de l’ancienne commanderie templière passée aux chevaliers de Saint-Jean à Jalès.
« Je n’ai qu’un père : différentes circonstances de ma vie m’ont fait soupçonner à ce sujet de grandes et émouvantes vérités ; mais les mystères de cette origine, et les rapports qui m’unissent à ce père inconnu, sont et restent mes secrets [3]».
C’est à Strasbourg en 1783 qu’il fait la connaissance du cardinal de Rohan qui jouera un rôle capital dans la perte de prestige de la royauté. Cagliostro crée une Franc-Maçonnerie égyptienne, dont le chef était inconnu et lui-même le Grand Cophte pour l’Europe et l’Asie. Les initiations se faisaient avec force mise en scène et se payaient fort cher. Cagliostro trafiquait aussi des poudres de succession, dévoyant sa nouvelle religion sensée conduire vers les sphères supérieures. Il fonde une loge à Lyon, la Sagesse triomphante, et fait apparaître un fantôme aux maçons qui se pressent à ses séances. Sa doctrine est constituée : l’initiation qu’il confère régénère l’adepte qui peut alors communiquer avec les esprits, guérir les maladies, transmuter les vils métaux et dévoiler le destin des hommes et des peuples.
Jeanne de Saint-Rémy de Valois, comtesse de Lamotte, descendante d’un bâtard d’Henri II, séduisit Cagliostro et en fit son complice dans l’affaire du collier de la reine En 1785, la comtesse de Lamotte convainquit le cardinal de Rohan grâce à l’ascendant que Cagliostro avait sur le prélat que la reine Marie-Antoinette, répondant enfin à son amour, désirait qu’il lui achète un collier que Louis XV, qui mourut avant de le payer, avait commandé pour la Du Barry. Les bijoutiers avaient dépensé beaucoup d’argent pour rassembler les pierres pour en faire ce collier. Rohan acheta le collier que la comtesse fit disparaître vendu pierre par pierre. L’escroquerie fut dévoilée, Rohan, Cagliostro et Seraphina arrêtés. Le couple de mage fut envoyé à la Bastille puis acquitté. Rohan de même. Libéré, Cagliostro s’enfuit à Londres où il fut rejoint par Seraphina qui voulait relancer l’aventure. La comtesse de Lamotte, condamnée et marquée au fer rouge s’évadera de prison et trouvera refuge à Londres où elle mourra défenestrée en 1791. De retour sur le continent, chassé partout où ils s’arrêtaient, Séraphina et Alexandre de Cagliostro se posèrent à Rome où Cagliostro ouvrit à côté de Saint-Pierre une de ses loges. L’Inquisition ne le supporta pas et le couple fut arrêté. Ils livrèrent tous leurs secrets et furent condamnés pour hérésie et sorcellerie. La justice pontificale l’accuse aussi d’avoir préparé la Révolution au sein de la franc-maçonnerie qui, selon ce que l’Inquisition a pu faire dire à Cagliostro, poursuivait le but de renverser les monarchies. Lorenza fut enfermée dans un couvent et Balsamo finit sa vie à San Leo.
[1] Cagliostro cité par Pierre A. Riffard, « L’ésotérisme », Robert Laffont, p. 797
[2] Pierre A. Riffard, « L’ésotérisme », Robert Laffont, p. 264
[3] Cagliostro cité par Pierre A. Riffard, « L’ésotérisme », Robert Laffont, p. 797