Partie IX - Synthèse   Chapitre LXV - Faucher les Marguerite   

L’ancienneté de la marguerite à 24 pétales

Les fouilles que, depuis 1946, R. Joffroy poursuivit au Mont-Lassois, sur le territoire de la commune de Vix (Côte-d'Or), ont apporté des documents d'une importance capitale pour l'histoire de la Gaule à la fin du VIème siècle avant l'ère. Ce sont tout d'abord des précisions sur les dispositifs généraux de l’oppidum, résidence de la jeune princesse inhumée dans la sépulture tumulaire fouillée dans les champs, au pied de l'acropole, en janvier 1953. La bourgade se dresse au sommet d'une butte témoin, dominant la vallée de la Basse-Seine et son histoire s'inscrit dans la stratigraphie relevée dans la partie occidentale de l'habitat. La plus ancienne occupation remonte au Néolithique ; au Hallstatt II b, au cours de la seconde moitié du VIème siècle, la défense de la station est assurée par un fossé à profil triangulaire, large de 19 mètres, profond de 9, dont les déblais ont été utilisés pour l'édification d'un rempart, large à la base de 13m,50, encore conservé sur une hauteur de 3m,10, revêtu au pied de dalles bathoniennes, intérieurement parementé en pierres de provenance locale. Sur le flanc, quatre grandes levées de terre garantis saient l'accès aux sources et à la rivière. L'habitat reste encore difficile à déceler, toutes les constructions du plateau ayant été rasées. On a reconnu les emplacements de trous de poteaux, des traces de maisons adossées à la falaise, faites d'un clayonnage garni d'argile. Mais déjà on peut saisir les traces d'un long séjour des hommes au Mont-Lassois, dont témoignent la richesse et la variété des mobiliers d'une population dense et industrieuse : fibules de tous les types du Hallstattien final, aiguilles en os, poinçons, épingles, objets de toilette et de parure, boucles, bracelets, pendeloques, plaques de ceinture estampées d'un griffon, importées d'Étrurie, perles de verre, d'ambre, dents de loup percées. Les armes sont rares : une épée à rognons, un poignard de fer dans son fourreau de bronze, un fond de carquois, comme aux Jogasses (Marne). Le Mont-Lassois était un centre artisanal où l'on travaillait le fer — deux lingots ont été retrouvés — et le schiste pour la fabrication des bracelets. L'industrie de la terre cuite y avait atteint un grand développement, si l'on s'en rapporte à l'immense quantité des tessons […] Malgré de patientes recherches, le ou les cimetières de l'établissement n'avaient pas encore pu être décelés, lorsqu'au mois d'octobre 1952, à l'intérieur d'une boucle de la Seine, au lieu dit « Les Mousselots », dans un champ à l'Est du Mont-Lassois, furent repérées quelques pierres étrangères au site. Dès les premiers coups de pioche, il fut évident qu'on se trouvait en présence d'un tumulus arasé, abritant une chambre légèrement trapézoïdale, creusée dans les sables alluvionnaires de la Seine. […] Le mobilier funéraire, d'une rare qualité, comprend plusieurs pièces d'un caractère exceptionnel. C'est tout d'abord le grand cratère de bronze, haut de l m 40, à anses décorées de volutes, d'une Gorgone, d'un lion et de serpents. Le col porte une frise, fixée à l'aide de rivets, se déroulant de droite à gauche et composée de trois éléments, huit fois répétés, un char de guerre à deux roues et caisse légère surmontée de deux barres latérales ansées, attelé de quatre chevaux, conduit par un cocher, et un hoplite. […] Malgré ses dimensions inusitées, le cratère de Vix s'inscrit dans un ensemble de productions avec lesquelles il présente de grandes analogies : cratères de Trébénitsché (Yougoslavie), de Campanie ; anses provenant d'Italie ou de Russie méridionale. Cette répartition des cratères de bronze, de la Gaule à la Russie méridionale, les ressemblances que l'on peut établir dans l'ordonnance générale du vase et les motifs de son décor, impliquent l'existence d'ateliers spécialisés dans ce genre de productions. Le problème qui se pose est celui de leur localisation et les opinions sont partagées : en Grèce, Corinthe, Sparte, Chalcis ; en Étrurie ; en Grande-Grèce, Tarente. […] Avec le diadème en or, orné de Pégases ailés, nous sommes bien éloignés de la Grèce : les chevaux avec leurs longs poils couvrant tout le corps, leur crinière droite, leur encolure courte et massive ramènent vers la région des steppes et c'est vers un atelier de la Russie méridionale, Scythie ou Chersonnèse, qu'il est normal de diriger les recherches.

Les chars du type de Vix sont encore peu nombreux en Gaule et les exemplaires découverts au siècle dernier n'ont pas été recueillis avec tout le soin désirable. Le véhicule de Vix ne doit pas différer sensiblement de l'exemplaire alsacien d'Ohnenheim dont la reconstitution est due à R. Forrer, voiture légère de caractère vraisemblablement plus processionnel qu'utilitaire.

La sépulture princière de Vix qui, malgré les origines très diverses de ses mobiliers funéraires, se laisse facilement dater des environs de l'an 500 avant l'ère, se rattache au groupe encore peu nombreux des tombes à char, dont la région de Vix, à elle seule, a fait connaître près du tiers : tumulus des Mousselots (cne de Sainte-Colombe) ; sépultures des princes de Vix ; tumulus de La Motte d'Apremont en Franche-Comté ; tumulus II de Savoyeux, dans la vallée de la Saône supérieure ; tumulus d'Ohnenheim en Alsace et deux tertres funéraires de la Vienne.

Il reste à rechercher les raisons pour lesquelles, dans une région aussi pauvre que le Châtillonnais, a été découverte une telle accumulation de richesses dans les mobiliers funéraires de ces sépultures princières. Terres maigres, friches ou chaumes, terrains de parcours pour le mouton et forêts, le paysage n'était pas très différent aux temps hallstattiens. Il faut rechercher les origines de cette prospérité, non dans les échanges avec les pays méditerranéens des produits naturels du pays, fer, laines, ou pelleteries, mais avec une bien plus grande vraisemblance dans la situation géographique de Vix, placé en un point crucial de la grande voie de commerce de l'étain. Environ le milieu du Ier millénaire avant l'ère, deux routes étaient suivies pour l'acheminement du métal, celle partant de la Loire-Inférieure, dirigée d'Ouest en Est et aboutissant à la hauteur du Châtillonnais, et celle de Cornouailles, à travers la vallée de la Seine, qui cesse d'etre navigable précisément à Vix. Par sa position stratégique sur la vallée et la plaine, à l'endroit même où s'effectuait la rupture de charge, le Mont-Lassois peut représenter, comme l'était la Ileuneburg pour l'or, un grand marché de l'étain et qui dit marché, dit péages, droits de commerce. De là la richesse des petits potentats celtes qui tenaient l'oppidum.

Une dernière question reste pendante : par quels cheminements sont venues les pièces exotiques de ce mobilier funéraire ? L'absence de toute trouvaille jalonnant la route Marseille- Vix élimine définitivement l'intermédiaire marseillais. Il en est tout autrement du grand chemin continental, partant de l'Italie septentrionale et franchissant les Alpes au col du Grand- Saint-Bernard, fréquenté depuis l'âge du Bronze, au long duquel les découvertes d'objets italo- grecs sont nombreuses. En Suisse, à la hauteur de Berne, deux voies se détachaient, l'une menant au Rhin, l'autre vers l'Ouest, dont l'activité commerciale se reflète dans une série de pièces apportées par les commerçants étrusques. C'est que les sépultures tumulaires, ayant fourni la plupart de ces objets d'origine méditerranéenne, sont, dans le Chàtillonnais, situées à proximité du tracé des chemins antiques : celui de Vix se dresse à 120 mètres de la route conduisant au Mont-Lassois […].

Les dimensions et le poids du cratère — plus de 200 kilos — n'étaient pas un obstacle à son transport par la voie de terre, longue et pénible, puisque rien ne s'oppose à admettre qu'il soit parvenu à Vix en pièces détachées pour être remonté sur place (Raymond Lantier, Recherches archéologiques en Gaule en 1953 (Période historique)).

Couvercle du cratère de Vix

http://www.wineterroirs.com/2010/08/wine-news-32.html

Marguerite et le 9

Le prénom de Marguerite était extrêmement répandu dans la noblesse à la fin du Moyen Âge parce que la sainte avait acquis une popularité sans égale grâce à ses vertus maïeutiques. Louis Réau en mentionne des exemples : " Les deux premiers ducs de Bourgogne, Philippe le Hardi et Jean sans Peur, épousèrent l'un Marguerite de Flandres, l'autre Marguerite de Bavière. La fille de Marie de Bourgogne et de l'empereur Maximilien s'appelait Marguerite d'Autriche ", mais il constate ensuite : " À partir de la Contre-Réforme, le culte de cette sainte légendaire décline en même temps que son iconographie s'appauvrit ". Pourtant, au XVIIème siècle en Espagne, les divers flores sanctorum, toujours publiés et republiés, répercutèrent fortement la légende de Marguerite d'Antioche. De surcroît, au moins une comedia de santos s'y rapportant fut alors produite. Elle brille par son manque d'originalité et par son respect de l'histoire pourtant légendaire de la sainte : il s'agit de Santa Margarita, mais elle atteste aussi la permanence de son culte. L'Espagne apporte une nuance remarquable à l'assertion de Louis Réau. Sans affirmer que cette figure se trouvât au premier plan des dévotions péninsulaires, sainte Marguerite n'était pas non plus tombée dans l'oubli après le Moyen Âge.

Tous les flores sanctorum et vitae consacrées à la sainte d'Antioche indiquent que cette femme est appelée indifféremment Marine (Marina) ou Marguerite : " La vida de Sancta Margarita virgen. Llamada tambien Marina " nous dit dit Alonso de Villegas, alors que Juan Rodríguez de León, dans La Perla signale : " bien que connue sous le nom de Marina, célèbre sous celui de Marguerite ".

Le culte de sainte Marina au nord-ouest de l'Espagne et au nord du Portugal, dans une zone géographique extrêmement étendue par rapport à celles des autres patronnes diocésaines sur le territoire ibérique, est une adaptation locale du culte de sainte Marguerite (ou Marina), importée au VIIème siècle lors de la christianisation de la région.

L'histoire de cette sainte et de ses huit sœurs (dont sainte Marina et sainte Eufemia d'Orense) fait partie des vies de saints espagnols recueillies dans le flos sanctorum d'Alonso de Villegas publié pour la première fois 1577. La vie de sainte Librada est cependant absente de la seconde partie du Flos sanctorum de Pedro de Ribadeneira. Alonso de Villegas, Ambrosio de Morales, Francisco de Padilla et Juan de Marieta évoquent sainte Librada, sans amalgamer les différentes vitae de sainte Librada et de ses sœurs. En particulier, Ambrosio de Morales, à la fin du XVIème siècle, ne se réfère pas à la première partie de la vie de sainte Librada, qui correspond à légende de sa naissance monstrueuse. Il ne rapporte que sa passion. Il faut attendre la deuxième moitié du XVIIème siècle, avec la diffusion massive des falsos cronicones, pour que Gemma et Eumelia, sœurs de Librada, soient totalement confondues avec sainte Marina et sainte Eufemia.

L'histoire de Librada et de ses huit sœurs raconte que Calsia, la femme du consul romain en Galice Catilius, accoucha de neuf filles en une fois. Ce type d'accouchement monstrueux étant honteux et signe d'infidélité, elle confia ses à la sage-femme nommée Sila pour qu'elle les jetât toutes dans une rivière. Dans un premier temps, celle-ci accepta d'exécuter le vœu de Calsia. Mais, chrétienne, elle éprouva ensuite de la culpabilité et n'eut pas le cœur de le faire. Elle confia chacune des neuf sœurs à une nourrice différente du quartier de chrétiens de Bayona, où elles étaient nées. Les neuf sœurs et la sage-femme furent finalement dénoncées à leur père lorsqu'elles atteignirent l'adolescence. Celui-ci persécutait les chrétiens. Elles furent conduites devant lui et ne renièrent pas leur foi, même sous la torture. Elles lui apprirent qu'elles étaient ses filles. Enfermées dans le palais, elles décidèrent de s'échapper et chacune échoua à un endroit différent où martyrisée. Sainte Librada fut la seule à être retrouvée par son père en personne et à être mise à mort par lui. Elle fut crucifiée. Les représentations iconographiques du XVIIème siècle montrent toujours ce moment.

P. de Sandoval énumère les martyres des neuf sœurs dans l'ordre chronologique (Antigüedad de la Ciudad, y Iglesia Cathedral de Tuy, publié en 1610) : " La Genivera padecio en Tuy, año 130, primero de Noviembre, según Iulian, en Portugal la llaman Ianebra la Eumelia en Abobriga ciudad antigua que ubo en este Obispado año 139 primero de Diciembre: otros quieren que Eumelia es lo mismo que Eufemia, y que padecio en la ciudad de Calcedonia en el Obispado de Orense: otros que nacio, y padecio junto a la hermita de nuestra Señora del Camino en este Obispado, como ya se dixo en lo de Tuy, y Buenaventura. La Gema, o Marina padecio martyrio en Amphilochia, ciudad Griega, y antigua en el Obispado de Orense, a quien llaman con engaño los Breviarios Bracarense Toledano, Compostellano, y otros Antiochia, y alli descansa su santo cuerpo: padecio a 18 de Julio: Quedo la memoria desta Santa mas viva en este Obispado, que de las otras hermanas por las muchas parochias, y hermitas, que della ay. Santa Quiteria padecio en Margueliza, que es en el Arçobispado de Toledo, año 130. Santa Marciana en Toledo, año 155. Santa Victoria en Cordoba, Santa Vuilgeforte, o Liberata en Castraleuca de Portugal, Santa Germana en Carthago de Africa, Santa Basilissa en Syria. Por manera, que de las nueve Santas niñas las dos (sino fueron las tres) illustraron y enoblecieron con su sangre este ciudad, y Obispado, y assi les cupo la mayor parte, pues nacieron en su casa " Cécile Vincent-Cassy, Les saintes vierges et martyres dans l'Espagne du XVIIe siècle, 2011).