Partie V - Arts et Lettres   Chapitre XLI - Section peinture   

Quelques peintres, avant le XIXème siècle, illustrent l’aspect artistique des nonagones. Mais c’est surtout à partir du XIXème et l’Ecole de Barbizon qu’une corrélation des tracés se manifeste avec les artistes qui renouvellent les conceptions de la peinture et inaugure l’art moderne.

Jacquemart de Hesdin, originaire d’Artois, travailla à Bourges pour le compte du duc de Berry comme miniaturiste. Il enlumina les Petites Heures et les Grandes Heures, réalisa 45 grandes miniatures dont parle l’inventaire du duc mais qui ont disparu ainsi que les Très belles heures de Notre-Dame. Avec de grandes surfaces aux vives couleurs, il a mêlé les influences de l’école siennoise et le gothique tardif français.

Enguerrand Quarton ou Charonton, né à Laon vers 1410, travailla en Provence à partir de 1444. Il a peint une Vierge de Miséricorde qui allie le dessin gothique d’inspiration flamande aux influences de Piero della Francesca et de Domenico Veneziano. Sa peinture illustre la fonction déterminante de l’art italien dans la culture provençale encore lié au modèle flamand.

Léonard de Vinci, né à Anchiano près de Vinci en Toscane, rencontra François Ier à Bologne en décembre 1515, alors que le roi de France venait de succéder à Louis XII, en poursuivant les chimériques guerres d’Italie. François Ier admirait le peintre et pensait, selon Benvenuto Cellini, qu’il n’y avait personne pour en connaître autant sur la peinture, la sculpture, l’architecture et la philosophie. François Ier dut l’inviter à venir en France après la mort inattendue de Julien II de Médicis, le 17 mars 1516 et le nomma « premier peintre, architecte et méchanicien du roi ». Léonard passa les Alpes avant l’hiver, emportant avec lui les tableaux inachevés La Joconde, Saint Anne et Saint Jean Baptiste. Il mentionne la première date française de son séjour dans ses feuillets : « Jour de l’Ascension, à Amboise, à Cloux, mai 1517 ». Installé par le roi au château de Cloux, appelé aujourd’hui Clos Lucé, il se met à écrire et travailler sur des problèmes mathématiques, en toute liberté. Il participe aux fêtes de la cour en concevant des mécanismes tel le lion qui avait été présenté à François Ier à Lyon en 1515 et qui faisait sa réapparition à Argentan deux ans plus tard. Fin 1517, Léonard est à Romorantin avec le roi et c’est là qu’il a l’idée de son dernier projet d’architecture : un immense palais royal avec jeux d’eau. Le jour de la Saint-Antoine il repart pour Amboise où il organise les fêtes royales en mai et en juin à Cloux. Il meurt le 2 mai 1519 et est inhumé en l’église Saint-Florentin d’Amboise qui sera saccagée lors des guerres de Religion. Héritier de la tradition florentine du XVème siècle, il concevait la recherche scientifique comme une activité artistique visant à la connaissance totale des lois de l’univers et à rendre l’artiste louable par son universalité.

Oubliés dès la fin du XVIIIème siècle, les trois frères Le Nain, Antoine, Louis et Mathieu, ont été replacés au rang des plus grands à la suite des travaux du romancier et érudit laonnois Champfleury, au milieu du XIXème siècle. Nés entre 1597 et 1607 à Bourguignon sous Montbavin, ils sont les cadets d'une famille de paysans-vignerons de cinq enfants. Ils viennent vivre à Laon où leur père Isaac a acheté en 1595 une charge de sergent royal au grenier à sel du bailliage. Les trois frères sont initiés à la peinture par le centre artistique assez actif de la cathédrale et du couvent de leur ville. En mai 1629, ils montent à Paris et ouvrent un atelier dans la capitale, rue Princesse, près de l'abbaye de Saint Germain des Prés. La maîtrise de peintre accordée à Antoine permet à ses cadets de travailler au titre de compagnons. Dès 1632, la ville de Paris passe commande et Mathieu réalisera un portrait de la reine Anne d'Autriche, disparu aujourd'hui. Les trois frères décorent la chapelle de la Vierge à Saint Germain des Prés et peignent le tableau d'autel de quatre chapelles dans la cathédrale Notre Dame. En 1648, ils sont admis à l'Académie royale de Peinture et de Sculpture, fondée par Charles Le Brun. Cette année-là, Louis, puis Antoine, meurent à la fin du mois de mai. Mathieu abandonne alors la peinture pour vivre de la fortune laissés par ses aînés. En 1662, il reçoit le collier de l'Ordre de Saint Michel. Il meurt le 20 avril 1677 alors que l'oeuvre des trois frères tombent dans l'oubli. Leur carrière s’est déroulée à Paris, tout en conservant d’évidentes attaches avec le Laonnois. Les sujets qu’ils ont abordés sont variés : peintures religieuses, portraits, scènes de genre. La série des tableaux paysans est d’une qualité exceptionnelle qui vaut aussi pour la restitution quasi sociologique du monde rural. Les tableaux comme Famille de paysans et Repas de paysans sont des chefs-d’œuvre qui, par la simplicité de la composition, des coloris dans les bruns, rendent une atmosphère toute solennelle.

Jean-Baptiste Siméon Chardin, né à Paris en 1699, ne quittera pratiquement jamais sa ville natale, passant les dernières années de sa vie au Louvre. Il meurt en 1779, dans l’indifférence. Reçu à l’Académie royale de peinture sur présentation de son tableau La Raie, il continuera à peindre des natures mortes où il excelle dans le rendu des objets du quotidien, composant avec rigueur et vérité qui lui attireront le soutien de Diderot. Elargissant ses sujets, il introduit des personnages dans des activités quotidiennes : femmes à la lessive, apportant du pain, tirant de l’eau ; enfants sages jouant. « Chardin fait revivre dans ces œuvres les modèles de la grande peinture hollandaise du XVIIème siècle et de la peinture française des Le Nain [1]». A la fin de sa vie, il abandonne la peinture à l’huile pour se consacrer au pastel. Ses dernières œuvres sont touchantes d’humanité.

Autre grand du pastel, Maurice Quentin Delatour, analyste subtil des physionomies du Siècle des Lumières, est né à Saint-Quentin en 1704. Il est reçu à l’Académie royale en 1746 comme peintre de portraits au pastel, alors que le pastel n’était pas considéré comme un grand art. Devenu peintre du roi, il portraiture la Cour, les artistes, les lettrés et le monde du théâtre. Sa célébrité tient à sa franchise d’observation. A la qualité du métier, il unit le sens de la vie intérieure de ses modèles, comme le montre les portraits du président de Rieux, de son épouse, ou de l’abbé Huber lisant aux chandelles, l’une des admirables pièces du musée de Saint-Quentin. Lié au mouvement philanthropique, multipliant les donations religieuses, il se retire en 1788. Après sa mort, son frère léguera à sa ville natale une grande partie de son œuvre. Comme grand pastelliste français, il succède à Joseph Vivien (Lyon, 1653 – Bonn, 1734) appelé « le Van Dyck du siècle pour le pastel ».

Un an plus tard, la Révolution commençait, confirmant un retour vers l’antique illustré par David dont Le Serment des Horaces apparaît comme le manifeste du nouveau classicisme, dont un de ses théoriciens, collaborateur de Soufflot pour l’église Sainte-Geneviève, Jean-Baptiste Rondelet naquit à Lyon en 1743. Un des élèves préférés de David, Anne-Louis Girodet de Roncy, dit Girodet-Trioson, (Montargis, 1767 – Paris 1824) fit le voyage de Rome pendant 5 ans est connu plus particulièrement pour la Déposition d’Atala dans la tombe inspirée de l’œuvre de Chateaubriand. Il décora le château de Malmaison avec Gérard. Un autre élève de David, Jean-Baptiste Wicar (Lille, 1762 – Rome, 1834) s’installe en Italie et participe à l’envoi d’œuvres italiennes en France après les victoires de Bonaparte. Il léguera à sa ville natale, une importante collection d’œuvres dont des dessins antiques. Dans la même veine, Jean-Baptiste Regnault (Paris, 1754 – 1829), après avoir été mousse pendant 5 ans, s’adonne à la peinture. Fréquentant l’atelier de Bardin, il l’accompagne en Italie et ses travaux sont admirés à Rome. A l’Académie en 1782, il peint des sujets tirés de l’Antique. Son engouement pour la Révolution le fait représenter des scènes allégoriques, La Liberté ou la mort, et sous l’Empire de grandes toiles comme La marche triomphale de Napoléon Ier vers le temple de l’immortalité. Le Baron Antoine-Jean Gros (Paris, 1771 – 1835), élève, lui aussi, de David, sera le chantre de l’épopée napoléonienne. Le réalisme cru de certaines toiles, la sombre poésie d’autres inspirées de la littérature pré-romantique en feront, selon Géricault et Delacroix, le « père du romantisme ». Malgré lui, car se tenant à son idéal de classicisme, il se suicidera après l’accueil réservé de son Hercule et Diomède, manifeste de sa peinture. Passionné de Moyen Âge, Fleury Richard, encore un élève de David à Paris, est le précurseur du style troubadour que l’on applique aussi à l’architecture.

 


[1] « Encyclopédie de l’art », sous la direction de Lucio Felici, La pochotèque-Garzanti, p. 206