Partie I - Généralités   Introduction   

Ces nonagones que mes recherches ont permis de tracer signifient autre chose qu’une simple toile d’araignée dans laquelle j’essaie de piéger la réalité qui m’est si fuyante. Les résultats auxquels je suis arrivé sont d’un ordre qui ne relève pas que du hasard. Y aurait-il, derrière ces coïncidences, une volonté. Serait-elle inconsciente ? Consciente ? Mais alors quelle entité la porte ?

Pour un Indien, l'araignée dans sa toile est une métaphore pour le principe divin qui hors de lui- même donne naissance au monde de la substance et de la forme. Mais ce principe divin : Brahma est notre inconscient profond, nous sommes tous assis dans la toile de notre monde que nous avons forgée avec la protection de notre Shakti. C'est la maya dans laquelle nous sommes englués. Pour vaincre cet emprisonnement donné par la nature, le yogi apprend à développer hors de lui-même, dans une visualisation intérieure une structure qui correspond à la toile d'araignée. Il en est lui-même le centre et la source. Il la tisse dans un dessin circulaire du monde rempli de figures (mandalas) ou dans un diagramme linéaire plein de symboles, représentant le monde des forces divines, qui se déploie en macrocosme et microcosme. Cette structure qu'il développe hors de lui-même dans une vision intérieure, il la maintient comme sa réalité et par degrés il la ramène en lui-même. (Heinrich Zimmer, Philosophies of India)[1].

D’abord, pourquoi 9. Ce chiffre est déjà le numéro de la lame de l’Hermite du Tarot, symbole des choses cachées et de l’initiation. Son sens général est celui d’un apport de lumière dans la recherche des causes premières, d’un secret qui doit être dévoilé, mais la prudence dicte les pas de l’ermite à la lanterne qui ne dévoilera qu’à celui qui en est reconnu digne. Le Tarot étant lié à l’astrologie, la Maison IX est en rapport avec les choses de l’esprit, de la philosophie, des sciences occultes, mais aussi de la justice et des procès. On s’en apercevra dans l’étude des lieux positionnés sur les tracés. Le H d’Hermite renvoie à Hermès. Choisi par Zeus pour lui servir de messager auprès des dieux des Enfers, il guidait les âmes des morts à travers les routes de l’Hadès. Divinité des carrefours, ses effigies y étaient placées pour chasser les fantômes et les mauvais esprits. Il assure le passage entre les mondes célestes, terrestres et infernaux. Neuf est aussi la totalité des trois mondes constitués par le Ciel, la Terre et les Enfers, représentés chacun par un triangle. Le nonagone est donc un symbole de cette totalité qui peut être aussi décomposée selon les trois mondes de Robert Fludd : le monde archétype, le macrocosme et le microcosme correspondent à Dieu, la nature et l’homme. Chacun de ses mondes se subdivise : Dieu en trois personnes, la nature en trois principes matériels (Soufre, Mercure et Sel) et l’homme en corps, esprit et âme. Sur le portail central ou du jugement de Notre dame de Paris, en dessous du Christ debout, se trouve une petite statue représentant l’Alchimie et tenant une échelle à 9 degrés, la scala philosophorum, symbole des neuf opérations conduisant au grand Œuvre. On trouve au musée de Cluny toujours à Paris, la pierre tumulaire de Nicolas Flamel portant une étoile à 9 branches. Dans l’emblème XXI de l’Atalanta fugiens de Michel Maïer, ne figure-t-il pas en bas de l’image, un nonagone à côté du sceau de Salomon ?

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En Chine, le chiffre 9 a une valeur symbolique associée à la cosmogonie. Un courant des « cent écoles », école des nombres, édicte sa doctrine dans le Hong fan qui classe ses thèmes en 9 articles : « Alors le ciel donna à Iu les 9 articles de la grande règle ; ils ont servi à expliquer les grandes règles de la société et les devoirs mutuels ». Le neuvième article traite de « la promesse et l’usage des cinq bonheurs, la menace et l’usage des six malheurs extrêmes »[2]. Toujours en Chine, l’arbre cosmique Kien-Mou, dressé au centre du monde, a 9 branches et 9 racines par lesquelles il atteint les 9 cieux et les 9 sources, séjours des morts. « Le nombre neuf joue un rôle éminent, tant dans la mythologie que dans les rites chamaniques des peuples turco-mongols. A la division du ciel en neuf couches s’associe souvent la croyance aux neuf fils ou serviteurs de Dieu qui, selon Gonzarov, correspondraient à neuf étoiles adorées par les Mongols. Les Tchouvaches de la Volga, qui classent leurs dieux par groupes de neuf, observent des rites sacrificiels, comprenant souvent neuf sacrificateurs, neuf victimes, neuf coupes etc. Les Tchérémisses païens offrent au Dieu du Ciel neuf pains et neuf coupes d’hydromel. Les Yakoutes placent également neuf coupes sur leurs autels de sacrifices. [3]». Chez les Aztèques, notons que, l’enfer est constitué de 9 plaines, que les divinités nocturnes sont aussi au nombre de 9.

En Egypte la grande ennéade est la réunion des neuf premières entités issues de l’océan cosmique Nun. Atum est la première, émergeant de l’océan, et crachant les jumeaux Shu et Tefnut. Ceux-ci donnent naissance à Nut et Geb dont l’union engendre Ausar (Osiris), Auset (Isis), Set (Seth) et Nebt-Het (Nephtys). Le texte de La Litanie de Ra décrit les neuf royaumes de l’univers se manifestant à travers le chat. Ra est l’unité du chat ou le grand chat. Le chat et la grande ennéade (unité des neuf temps) ont le même nom : B.st (Bastet). Ceci peut être à l’origine de la légende des neuf vies du chat.

9 est présent dans les traditions populaires d’Europe, plus précisément dans le Nord et est lié aux cauchemars. Odin était invoqué lorsqu’on en était affligé, mais fut remplacé par saint Swithold à l’époque chrétienne. Thor fit 9 pas au retour de l’hiver pour aller combattre le serpent marin qui le mit à mort, l’hiver durant 9 mois. Les Walkyries étaient selon les textes 3, 9 ou 27. L’enfer nordique, Nifhel, comptait 9 mondes et se trouvait à la racine de l’arbre du monde auquel Odin fut suspendu, blessé par un javelot, 9 nuits. Dans la mythologie celtique, le 9 joue aussi un rôle important. Le feu sacré était gardé par 81 hommes par roulement de 9. Une semaine de 9 nuits a été identifiée. Morgan et ses sœurs étaient 9 et régnaient sur les Îles Fortunées. Stonehenge était le cercle des 9 vierges. Les légendes galloises rapportent les 9 blessures faites lorsque l’on retirait le javelot de Bedwyr, Kei pouvait rester éveillé 9 jours et 9 nuits. Il en reste quelque chose en anglais avec l’expression « a nine-day’s wonder » (la merveille d’un jour), ainsi que dans Shakespeare : les sorcières de Macbeth, « les sœurs fatales, main dans la main/Parcourant terre et mer/S’en vont ainsi tournant, tournant/Trois fois pour toi, trois fois pour moi/Et trois fois encore pour faire neuf/Silence ! Le charme est prêt.[4] ».

Toujours en Europe du Nord, le 9 est associé au mariage pour les femmes, au feu pour les hommes, mais aussi à la guérison. En Ecosse, les jeunes filles semaient du chanvre dans neuf sillons labourés et, en se retournant dans l’obscurité, elles pouvaient voir la silhouette de leur futur. En Moravie, les jeunes filles allemandes mettaient neuf espèces de fleurs sous leur oreiller pour rêver à leur promis. En Irlande, elles faisaient neuf fois le tour d’une meule de fois pour voir au neuvième tour leur futur mari leur prendre le râteau des mains.

Au Pays de Galles, 9 hommes vidaient leur poche de tout métal puis ramassaient neuf essences de bois dont ils faisaient un feu au milieu d’un cercle pour la fête de Beltane au 1er Mai. Dans certaines îles d’Ecosse, 81 hommes prenaient deux grosses branches et par équipes de 9 les frottaient l’une contre l’autre pour produire le feu nouveau qu’ils distribuaient de maison en maison.

Femmes et hommes sont réunis dans ce rituel du Pays de Galles où les jeunes femmes portant un bouquet composé de trois ou neuf essences de fleurs sautaient la main dans la main avec un jeune homme au dessus d’un feu allumé avec trois ou neuf essences de bois différentes pour s’attirer la prospérité.

En Silésie au XVIIème siècle, on allumait ce qu’on appelle des feux de misère avec neuf espèces de bois pour soigner les troupeaux. On passait, en Angleterre, sous un arceau végétal dans le sens du soleil pou guérir des furoncles, et à travers un jeune frêne fendu en deux pour les hernies des enfants.

Le 9 est aussi particulièrement important pour les Templiers. A l’origine, menés par Hugues de Payns, ils n’étaient que neuf et le restèrent pendant neuf ans, selon Jacques de Vitry. Ils prévoyaient neuf cas d’exclusion. Il y avait neuf provinces, trois simples et six doubles : Portugal, Aragon, Majorque ; Castille et Léon, France et Auvergne, Angleterre et Irlande, Allemagne et Hongrie, Italie haute et Italie basse, Pouilles et Sicile. Que La Forêt d’Orient, haut lieu templier se trouve sur le tracé, indique que l’Ordre en avait « connaissance ». Chevaliers, les templiers l’étaient, illustrant le thème des 9 preux tirés de l’Antiquité, de la Bible et de l’époque médiévale : Hector, Alexandre, César, David, Judas Macchabée, Josué, Charlemagne, Arthur et Godefroy de Bouillon. C’est dans ce que j’appelle le cercle templier de Savoie (nous le verrons plus loin), à Annemasse, que s’enregistre, en 1956, le suspect Prieuré de Sion. Dans les statuts de cette année-là au moment de son « épiphanie », le nombre de grades est de 9. Il est vrai auparavant il n’était que de 7, et en 1963 il sera de 5.

9 est le nombre des collèges des Rose-Croix selon Michel Maier. Disséminés sur la terre, ils se situent en Egypte, à Eleusis, à Samothrace, en Perse, chez les Brahmanes, chez les Gymnosophistes, chez les Pythagoriciens, en Arabie et à Fez.

La Béatrice de La Divine Comédie de Dante, dont on dit qu’il fut affilié à un tiers ordre templier – la Fede Santa -, est associée au chiffre 9 « tous deux des miroirs terrestres de la Cause première ». Dante raconte sa rencontre avec elle dans la Vita nova alors qu’il avait 9 ans. Béatrice Portinari le salua 9 ans plus tard, ce qui le remplit de bonheur. La Divine Comédie, divisée en trois parties, décrit le voyage surnaturel de Dante lors de la semaine sainte de 1300. Perdu dans la forêt du péché, Dante est secouru par Virgile, symbole de la raison humaine et l’envoyé de Béatrice, symbole de la foi révélée. Il doit descendre dans l’Enfer, divisé en 9 cercles, puis gravir les pentes de la montagne du Purgatoire, divisé en 9 gradins, pour atteindre le sommet où se place le Paradis composé de 9 sphères. Les ordres des anges sont 9, chiffre des anges qui conduisent à assimiler Béatrice elle-même à un ange.

Dans l'Antiquité, la Terre était divisée en neuf cercles parallèles (un dixième concernait l'axe du monde lui-même) et que le neuvième cercle concernait les pays de l'extrême nord de la Terre connus à cette époque (en gros la Suède, la Norvège, le Danemark, l'Allemagne du Nord et aussi l'Islande actuelles) (http://www.astrosurf.com).

L'héraldique est un champ de recherche prometteur qui demanderait toute une étude. Notons déjà qu'en Bretagne, duché aux neuf anciennes baronnies instituées par Pierre II en 1451, et aux neuf évêchés, les armoiries des Rohan qui régnaient en particulier à Guern, Noyal-Pontivy, Helléan, Guilliers, Bieuzy-Lanvaux, portaient neuf mâcles rangées en 3 lignes de 3. Les mâcles sont soit des configurations cristallines que l'on peut rencontrer en alchimie, des mailles de filet, ou de hauberts. Toujours en Bretagne, La seigneurie des Callac (à Callac en Morbihan) blasonnait d'or à deux fasces nouées de sable, accompagnées de neuf merlettes. Les merlettes étaient représentées sans bec ni pattes, pour indiquer l'humilité du chevalier, ou ses mutilations au retour des guerres saintes. Elles étaient appelées aussi merle morné. Le merle de Jean est un terme désignant le compost en putréfaction chez Bernard Le Trévisan.


[1] Patrick Conty, « L'esprit du labyrinthe », Albin Michel, pp. 16-17

[2] Pierre A. Riffard, « L’ésotérisme », Bouquins-Robert Laffont, p. 353

[3] Jean Chevalier et Alain Gheerbrant « Dictionnaire des symboles », Robert Laffont, p. 664

[4] Vincent F. Hopper, « La symbolique médiévale des nombres »,  Gérard Montfort, p. 88-89