Les nonagones, toile d’araignée feraient-ils de nous, ou de certains de nous, des marionnettes ? Nous conduiraient-ils à endosser des rôles que nous jouerions malgré nous ? L’image d’une corde reliant le Cosmos et l’homme au Dieu suprême est attestée en Grèce ancienne. Platon nous décrit comme des marionnettes créées par les Dieux, tiraillées entre différentes cordes intérieures qui nous entraînent vers des actions opposées. La seule corde dont il ne faut se dégager est celle de la raison. La corde d’or d’Homère est le câble par lequel Zeus manifeste sa puissance sur les autres dieux et sur le monde qui doit reconnaître par là sa dépendance. Le Grec Lucien dépeint l’Ogmios des Celtes comme un Héraclès vieillard qui « attire à lui une multitude considérable qu’il tient attachée par les oreilles ; les liens dont il se sert sont de petites chaînes d’or et d’ambre […] Malgré la faiblesse de leurs chaînes, ces captifs ne cherchent point la fuite, quoiqu’ils le puissent aisément ». Les chaînes sont rattachées à la langue du dieu si puissamment éloquent.
Les nonagones nous renvoient au Maître caché qui tire les ficelles, qui nous contrôle de l’intérieur. Ce qu’enseigne la Bhagavad Gita, c’est que « la liberté ne s’obtient pas à travers des mouvements désordonnés, mais par la prise de conscience que la danse avec les phénomènes peut nous identifier au marionnettiste qui nous dirige ».
Pour Platon la corde d’or n’est autre que le soleil par lequel, dans son mouvement, il conserve les choses. S’il venait à s’immobiliser comme en des liens, tout tomberait en ruine. Dans certains écrits indiens, le Soleil relie les mondes à lui-même au moyen d’un fil. Le Soleil est le tisserand cosmique assimilé à une araignée dans sa toile. C’est l’image que renvoie les nonagones, toile tissée et tendue sur le territoire et orientant les vies d’élus dont l’action tisse à son tour la vie de la nation. Le centre de cette toile, on l’a vu, a un rapport avec le dieu solaire Apollon, Bélénos en Gaule.
L’alchimie, qui a servi de fil rouge dans cet exposé, illustre bien par le symbolisme traditionnel de la conjunctio oppositorum le long chemin qui aboutit à l’état dans lequel se trouve la société française aujourd’hui, vivant dans une relative liberté. Le mode de vie démocratique permet à tous, dans une certaine mesure, de vivre ses convictions, même si elles sont opposées à celles des autres, dans la paix.
Que Paulette Duval en fasse la quatrième religion du livre ne nous étonne pas. L’alchimie draine des influences mésopotamiennes, grecques, musulmanes, chrétiennes voire taoïstes. Aussi, porteuse d’une tradition qui transcende les religions, elle peut en constituer une à elle seule. Le travail sur soi et l’absence de prosélytisme agressif qu’impliquent l’Art ne peuvent qu’avoir une influence sur l’attitude sociale de l’adepte et de tous ceux qui s’y intéressent. La maturation intérieure d’une harmonie de l’être par la pacification des discordances et l’unification du moi ne peut que rejaillir sur l’environnement extérieur.
Des philosophes, comme Platon, ont échafaudé des systèmes politiques, mais la voie moderne a été ouverte par Guillaume d’Occam, initiateur du développement du nominalisme au XIVème siècle. Comme sur le plan métaphysique où il n’y a que des singuliers, dans la philosophie politique d’Occam il n’y a que des individus, pas de corps social, que des agrégats d’individus. L’autorité politique est donc liée au consentement des hommes qui ont la possibilité de se lier par des pactes. La séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel est instituée par les Ecritures, la papauté ne peut exercer d’autorité sur le politique. Si Occam n’est pas à proprement parler laïc, mais plutôt favorable à un retour aux temps évangéliques, il a profondément influencé les penseurs qui lui ont succédé.
On discerne à travers les aspects néo-platoniciens de l’alchimie et la critique du réalisme qui ouvre sur une évolution politique moderne, image extérieure de la pierre philosophale réalisée en soi, une contradiction interne à l’alchimie. Elle renvoie à l’opposition de deux conceptions de l’hermétisme issues du gnosticisme, considérant le monde comme mauvais dont il faut se séparer, et celle de l’amendement de la Nature et de l’homme, séparés du divin par la Chute.
La Nature englobe finalement l’ensemble de la société. L’évolution de la société française lui a apporté une certaine prospérité, comme celle que Perceval, par la quête du graal, doit restituer au royaume du Roi Pêcheur. Le monde démocratique est un monde réparé, réconcilié dans la coexistence de ses opposés. On a pu saisir à travers les événements rencontrés par les tracés des nonagones les tensions qui régnaient dans la société française et qui s’exprimaient à travers les débats philosophiques, théologiques, politiques et culturels.
Pour que la paix sociale existe dans la cohabitation, il faut que les différents groupes qui composent la société acceptent la création d’espaces physiques communs à tous les hommes et toutes les femmes, qui correspondent concrètement à l’ouverture des pensées particulières sur l’autre, à l’acceptation de l’existence des autres. Il s’agit de renoncer à asservir l’autre en reportant sur la nature l’exercice de son désir de puissance qui doit être transmuté en désir de connaissance.