Partie III - Thèmes   Chapitre XXVII - L’Androgyne   

Symbole de la rĂ©conciliation des contraires, en particulier des sexes fĂ©minin et masculin, l’androgyne s’élève au-dessus des principes complĂ©mentaires et opposĂ©s. La matière première des alchimistes est rĂ©putĂ©e hermaphrodite, et c’est par gĂ©nĂ©rations successives qu’elle parvient au Rebis, chose double. « Dès le dĂ©but du travail, le ferment de la Pierre, Argent-Vif, n’est-il pas dit « double Â» ? C’est le Mercure duel, composĂ© de Mercure simple, lunaire, femelle, et de Mercure soufrĂ©, solaire et mâle qui est Ă  la fois le dissolvant et le ferment [1]».

Dans la mythologie, la nymphe Salmacis, Ă©prise du fils d’Hermès et d’Aphrodite, Hermaphrodite, fut repoussĂ©e par lui. Alors que le jeune enfant se baignait dans une fontaine, la nymphe, qui le guettait, se prĂ©cipite sur lui et l’enlace, demandant aux Dieux de ne faire qu’un avec lui. Salmacis fut exaucĂ©e. L’être qui rĂ©sulta de l’union participait de des deux natures. Hermaphrodite s’écria : « Accordez cette grâce, Ă´ mon père, Ă´ ma mère, Ă  votre fils qui porte vos deux noms : que tout homme qui se sera baignĂ© dans cette fontaine n’en sorte plus qu’un homme Ă  moitiĂ© Â». Ses parents rĂ©pondirent au vĹ“u de leur enfant en dĂ©versant un philtre dans les eaux de la fontaine. On comprend pourquoi les Ă©crits alchimiques font se baigner le roi et la reine dans une fontaine avant que de rĂ©aliser le Rebis.

Le dieu Janus, reprĂ©sentĂ© avec deux visages (Janus Bifrons), parfois l’un fĂ©minin et l’autre masculin, Ă©tait le maĂ®tre des portes du cycle annuel, la porte des dieux et celle des hommes, c’est-Ă -dire le solstice d’hiver (Janua Coeli) et solstice d’étĂ© (Janua Inferni). Janus a donnĂ© son nom au mois de Janvier, premier mois de l’annĂ©e. « Incarnant le prĂ©sent avec par son troisième visage, celui qu’on ne voit pas, il veille sur le passĂ© et sur l’avenir. Il fait du temps une fĂŞte puisque c’est lui, dans le cycle des sculptures d’Amiens, qui prĂ©side le banquet cĂ©lĂ©brĂ© en l’honneur de l’annĂ©e mourante et de l’annĂ©e renaissante. Le Moyen Ă‚ge avait crĂ©Ă© une contrepartie fĂ©minine de Janus, la cĂ©lèbre sainte Geneviève, dont le nom s’interprĂ©tait comme Janua nova, « porte nouvelle de l’annĂ©e Â». [2]»

Avec les visages d’homme et de femme, Janus est Janus-Jana, l’androgyne lunaire. Jana est l’ancienne forme du nom de la dĂ©esse de la Lune Diana. On fĂŞtait l’ancienne dĂ©esse de la lune SĂ©mĂ©lĂ©, mère de Dionysos le « deux fois nĂ© Â» ou « fils de la double porte Â», Ă  Athènes, par le sacrifice d’un taureau d’un an dĂ©coupĂ© en neuf morceaux. Neuf Ă©taient aussi les prĂŞtresses orgiaques qui y participaient. Relevons que « Janus, en tant « qu’esprit de l’ouverture Â», Ă©tait invoquĂ© au dĂ©but de toute entreprise et qu’à ce titre il Ă©tait le dieu qui, dans le mariage, perçait l’hymen [3]». Le commencement du monde est aussi l’époque oĂą l’indiffĂ©renciation rĂ©gnait, oĂą les sexes Ă©taient confondus, oĂą l’énergie Ă©tait Ă  son maximum. La notion d’ouverture se retrouvera dans cet ouvrage Ă  l’occasion de l’interprĂ©tation du carrĂ© SATOR.

Janus, inventeur de la monnaie et des navires, appris aux Romains à cultiver la terre. Outre son aspect alchimique d’androgyne, il est ainsi le maître des adeptes qui se nommaient volontiers jardiniers.

Janus fut transposĂ© dans la religion chrĂ©tienne en les personnes deux saints Jean, Jean-Baptiste et Jean l’évangĂ©liste, qui prĂ©sident eux aussi aux solstices. «  Tout incite Ă  penser que Saint-Jean Ă©tait Ă  l’univers mĂ©diĂ©val ce que Janus Ă©tait Ă  l’univers romain de l’AntiquitĂ© [4]». De lĂ , les rencontres nombreuses faites au sujet de Jean-Baptiste sur les nonagones.

L’androgyne est figuré, on l’a vu, par l’attitude vestimentaire des personnages historiques comme Jeanne d’Arc ou le chevalier d’Eon.

Des travestissements apparaissent dans la littĂ©rature, en particulier dans L’AstrĂ©e d’HonorĂ© d’UrfĂ©. Un des hĂ©ros, le berger CĂ©ladon, prend habit de femme au cours de son errance sentimentale en quĂŞte de l’amour d’AstrĂ©e, contrecarrĂ© par l’inimitiĂ© de leurs parents. Comme Eon, CĂ©ladon fait preuve de courage physique, Ă  la guerre ou dans les combats organisĂ©s au cours de fĂŞtes, acquĂ©rant le prix de lutte, alors que d’autres bergers n’ont que le prix de chants. Entre le charnel Hylas et l’éthĂ©rĂ© Silvandre, CĂ©ladon reprĂ©sente un effort de synthèse et d’équilibre. « C’est Ă  l’hermĂ©tisme alchimiste que font penser les multiples travestissements de CĂ©ladon en femme. Car, mĂŞme si l’on admet que la pastorale fait un grand usage du travesti, on doit s’interroger sur sa signification, et surtout dans le cas de CĂ©ladon, dont la vie est considĂ©rĂ©e par Adamas comme ayant une valeur exemplaire. Dans toutes les formes religieuses oĂą l’androgynie est donnĂ©e pour l’idĂ©al Ă  atteindre, l’échange des vĂŞtements relève d’une humanitĂ© plus parfaite. L’homme, rappelle Mircea Eliade, n’abandonne pas pour autant sa virilitĂ©, il la dĂ©passe pour rĂ©aliser momentanĂ©ment l’unitĂ© des sexes. Et le mĂŞme procès se retrouve, pour l’historien des religions, dans toute relation amoureuse : « on peut mĂŞme parler, Ă©crit-il, d’une androgynisation de l’homme par l’amour, chaque sexe acquiert, conquiert les  « qualitĂ©s Â» du sexe opposĂ© (la grâce, la soumission, le dĂ©vouement acquis par l’homme amoureux, etc.) Â». Dans le roman d’UrfĂ©, c’est bien davantage Ă  l’humanisation d’une femme-dĂ©esse qu’on assiste avec AstrĂ©e. CĂ©ladon, lui, « meurt Â» Ă  l’ouverture du roman, et subit une passion longue et douloureuse, Ă  l’issue de laquelle il renaĂ®t enfin rĂ©vĂ©lĂ© Ă  AstrĂ©e et Ă  lui-mĂŞme par l’épreuve et par l’expĂ©rience de soi et des autres, et sans doute en effet de sa propre fĂ©minitĂ© [5]».

Le nom d’Adamas rappelle celui d’Athamas qui vĂ©cut avec Ino et eut deux enfants avec elle. Ils recueillirent un temps le petit Dionysos, fils de Zeus et de SĂ©mĂ©lĂ©, la sĹ“ur d’Ino, et l’habillèrent en fille pour le dissimuler Ă  la colère d’HĂ©ra. « Quant Ă  Dionysos, il Ă©tait le dieu bisexuĂ© par excellence. Dans un fragment d’Eschyle, quelqu’un s’écriait : « D’oĂą viens-tu, l’homme-femme, et quelle est ta patrie ? Quel est ce vĂŞtement ? Â». Originellement, Dionysos Ă©tait imaginĂ© comme un ĂŞtre robuste et barbu, deux fois puissant Ă  cause de sa double nature. [6]».

On retrouve Dionysos, par son homologue romain Bacchus dans l’œuvre de Rabelais, qui sous la forme de l’Iliade des deux premiers livres et de l’OdyssĂ©e des trois autres, figure l’initiation bachique rĂ©sumĂ© dans l’oracle de la dive pontife Bacbuc : trinch ! « Les cinq Livres nous mènent progressivement d’un roman de l’éducation, sorte d’Iliade intellectuelle, Ă  un roman d’initiation, sorte d’OdyssĂ©e spirituelle [7]». Dans les ultimes chapitres du Cinquième Livre, la description de la bataille que livre Bacchus aux Indiens annonce la lampe admirable et la fontaine fantastique qui renouvelle le miracle des Noces de Cana. « L’on peut donc bien appeler, Ă  la manière bachelardienne, « Complexe de Cana Â» l’ensemble de ces images de boire verbal et de son cortège substantif : vin, flacon, bouteille, etc., complexe qui rĂ©sout pour ainsi dire la latence du mythe princeps de l’os et de la moelle, de la petite boĂ®te et du prĂ©cieux onguent, du flacon et du vin, du vin et de l’ivresse. [8]». Le compagnon de Bacchus, Silène, a donnĂ© son nom aux boĂ®tes – le coffret d’Essarois pourrait en ĂŞtre un exemple - renfermant les figurines des dieux, contenu cachĂ© dont la dĂ©couverte est le but de l’initiation. L’Inde fit don Ă  Bacchus des lynx qui figureront dans l’attelage du dieu. L’animal Ă©tait rĂ©putĂ© au Moyen Ă‚ge capable de percer murs et murailles par son regard. A la Renaissance, le sens de la vue Ă©tait symbolisĂ© par le lynx, et on croyait qu’il percevait l’image des objets qui lui Ă©taient cachĂ©s[9].

Selon le tĂ©moignage de saint Hippolyte, Simon le mage nommait l’esprit primordial arsĂ©nothĂ©lys, « mâle-femelle Â», et la secte des Naassènes concevait l’Homme primordial qu’ils appelaient Adamas comme un arsĂ©nothĂ©lys. Pour eux, l’homme, issu d’Adamas, est susceptible d’atteindre l’état androgynique par la perfection spirituelle. Le Logos est aussi androgyne. « Selon les Naassènes, le drame cosmique comporte trois Ă©lĂ©ments : 1° le logos prĂ©existant en tant que totalitĂ© divine et universelle ; 2° la chute, ayant comme rĂ©sultat la fragmentation de la CrĂ©ation et la souffrance ; 3° l’arrivĂ©e du Sauveur, qui intĂ©grera dans son unitĂ© les fragments infinis qui constituent aujourd’hui l’Univers [10]». Les Naassènes qui constituaient une secte probablement d’origine juive samaritaine, se perpĂ©tueront, christianisĂ©s, jusqu’au IVème siècle sous le nom d’ophites. Ils considĂ©raient le Serpent de la Genèse comme le vĂ©ritable rĂ©dempteur. YahvĂ© condamna celui qui voulut rĂ©vĂ©ler Ă  Adam et Eve les liens entre la connaissance et l’épanouissement sexuel, formant dans leur unitĂ© l’état Ă©dĂ©nique. Le Serpent, symbole du dĂ©sir amoureux, assure le salut aux hommes soumis aux lois malĂ©fiques de YahvĂ©. Les Naassènes identifieront JĂ©sus au Serpent, de multiples reprĂ©sentations d’un serpent crucifiĂ© l’attestant. Dans les Ĺ“uvres attribuĂ©es Ă  Nicolas Flamel, Livre des figures hiĂ©roglyphiques, une telle figuration est frĂ©quente. Pour les Naassènes, la Sagesse divine, Sophia qui sera christianisĂ©e en Marie, confère Ă  l’homme le savoir et l’amour[11].

La bisexualitĂ© de la divinitĂ©, qui se passe de partenaire pour engendrer est rĂ©currente dans les anciennes thĂ©ogonies grecques. Du Chaos seul naquit ErĂ©bĂ© et la Nuit, de la Terre, le Ciel Ă©toilĂ©. Dans les mystères d’Hercule Victor italiote, dieu et adeptes du culte Ă©taient habillĂ©s en femmes. Marie Delcour a montrĂ© que ce rite avait pour vertu de « promouvoir la santĂ©, la jeunesse, la vigueur, la durĂ©e de l’être humain, et peut-ĂŞtre mĂŞme confĂ©rer une sorte de pĂ©rennitĂ© [12]». On reparlera de la recherche de l’éternitĂ© dans le chapitre « Les Bergers Â». Dans le christianisme, cette unitĂ© est promise Ă  l’homme qui doit la rĂ©intĂ©grer après sa mort, retrouvant l’état de l’Adam indiffĂ©renciĂ©, l’Adam glorifiĂ©, fait de plĂ©nitude oĂą la sĂ©paration de sexes s’abroge. Pour Scot Erigène, la division sexuelle fut une consĂ©quence du pĂ©chĂ©, mais elle prendra fin par la rĂ©unification de l’homme, qui sera suivie par la rĂ©union eschatologique du cercle terrestre avec le Paradis. Dans l’Evangile de Thomas, on peut lire : « Et si vous faĂ®tes le mâle et la femelle en un seul, afin que le mâle ne soit plus mâle et que la femelle ne soit plus femelle, alors vous entrerez dans le Royaume Â» ; dans l’EpĂ®tre aux Galates de saint Paul : « Il n’a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni mâle ni femelle ; car vous tous n’êtes qu’un dans le Christ JĂ©sus Â».

Le Christ est un arbre selon une tradition qui remonte au moins jusqu’à Bède le Vénérable, moine à Jarrow, reprise par Alain de Lille. Arbre planté au milieu du Paradis, arbre de Vie qui était aussi Adam avant la chute. Ses fruits sont ceux de l’immortalité réservée aux élus. L’arbre de vie est fait de masculin et de féminin comme Adam dont a été tirée Eve.

Dans l’EpĂ®tre secrète des Frères de la PuretĂ© « l’enfant d’IsmaĂ«l, c’est-Ă -dire, le RĂ©surrecteur, celui qui surgit Ă  la fin du cycle pour ramener la CrĂ©ation Ă  son origine, et aussi, pour chaque croyant, celui qui est son moi de la deuxième naissance, l’enfant d’IsmaĂ«l, donc, est un arbre fixĂ© en terre et dont les branches se perdent dans le Ciel. [13]»

Dans la kabbale, l’Adam terrestre, fait Ă  l’image de l’Adam Kadmon cĂ©leste, est aussi crĂ©Ă© androgyne et sera sĂ©parĂ© en deux pour donner naissance Ă  Eve. La mythologie germanique connaĂ®t aussi des dieux androgynes comme Tuisto (double) qui naquit de Nerthus, la terre-mère, et qui engendra de lui-mĂŞme le premier homme Mannus qui correspond au Manu vĂ©dique et au Manès phrygien. Mais on peut remonter plus loin que les mythes grecs pour retrouver une semblance d’androgynie dans la reprĂ©sentation de dieux ou d’êtres humains dès le nĂ©olithique. Au VIème millĂ©naire avant J.C. de nombreuses figurines de moins de 15 cm des rĂ©gions de Thessalie, des Balkans et d’Europe centrale sont de sexe indĂ©terminĂ©. « Le petit dieu trouvĂ© Ă  Szegvar-TĂĽzköves (Hongrie) est une des très rares figures qui soit pourvue d’un accessoire […] Assise, digne et un peu raide, sur un tabouret, la divinitĂ© est sans doute masculine. Mais c’est une affirmation par dĂ©faut, fondĂ©e sur l’absence de caractères fĂ©minins, puisque aucun sexe n’est indiquĂ©. Le dieu porte aux bras deux bracelets en spirales, et, pour tout vĂŞtement, une ceinture. Sur le visage, un masque semble cacher ses traits. L’instrument qu’il tient sur l’épaule peut ĂŞtre une faucille de moissonneur ou une sorte d’épĂ©e courbe [14]».

Dans certaines tribus australiennes, l’initiation Ă  la pubertĂ© des jeunes hommes se fait par une subincision qui leur donne symboliquement un sexe fĂ©minin. Ces pratiques montrent que l’on ne peut « devenir un mâle sexuellement adulte avant d’avoir connu la coexistence des sexes, l’androgynie ; autrement dit, on ne peut accĂ©der Ă  un mode d’être particulier et bien dĂ©terminĂ© avant d’avoir connu un mode d’être total. [15]»

Plutarque raconte, au sujet de rites nuptiaux, qu’à Sparte, la jeune épouse est revêtue d’habits masculins, la tête rasée, puis couchée sur le lit lumière éteinte, qu’à Cos, c’est le mari qui se vêtit en femme. Les travestissements se pratiquent quasi rituellement aussi en Europe lors de carnavals et de fêtes de toutes sortes.

Pour remonter aux sources de tels comportements, il faut s’intĂ©resser au chamane de SibĂ©rie, qui, par un rite d’androgynisation, « rĂ©unit en lui les deux principes polaires ; et puisque sa propre personne constitue une hiĂ©rogamie, il restaure symboliquement l’unitĂ© du Ciel et de la Terre assure par consĂ©quent la communication entre les Dieux et les hommes. Cette bisexualitĂ© est vĂ©cue rituellement et extatiquement ; elle est assumĂ©e en tant que condition indispensable au dĂ©passement de la condition de l’homme profane. [16]». L’homme s’ouvre alors Ă  autre chose, au-delĂ  de son quotidien. On ne peut penser qu’à l’exemple de Jeanne d’Arc, portant l’habit d’homme, qui, par ses voix, Ă©tablissait une relation avec ce qu’elle considĂ©rait comme des reprĂ©sentants de Dieu, saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite. Mais elle n’unit pas seulement le Ciel et la Terre de France, mais la France elle-mĂŞme, dans ses forces et l’extension de son territoire. Elle rejoignit les chamanes dans sa capacitĂ© Ă  communiquer avec le « monde-autre Â», ainsi que dans la rĂ©probation dont elle fit l’objet. L’Eglise se mĂ©fie et rejette de tels mystiques, avant, parfois de les vĂ©nĂ©rer.

Quant au chevalier d’Eon, il ne s’est exprimé qu’à un niveau diplomatique, la mystique n’étant pas de son fait, marquant le peu de foi du XVIIIème siècle. Ses habits de femme en font une image symétrique de Jeanne d’Arc qui, elle, portait habit d’homme, ce qui lui valut d’être considérée comme relaps au cours de son procès et d’être condamnée au bûcher. Tous deux travaillèrent et se sacrifièrent dans l’intérêt de la France.

« IntĂ©grer, unifier, totaliser, en un mot, abolir les contraires et rĂ©unir les fragments, est, dans l’Inde, la Voie royale de l’esprit. Ceci est dĂ©jĂ  Ă©vident dans la conception brahmanique du sacrifice. Quel qu’ait Ă©tĂ© le rĂ´le du sacrifice dans la prĂ©histoire indo-aryenne et dans l’époque vĂ©dique, il est certain qu’à partir des Brahmanas le sacrifice devient principalement un moyen de restauration de l’unitĂ© primordiale. En effet, par le sacrifice on rĂ©unit les membres disjoints de Prajapati, c’est Ă  dire on reconstitue l’Être divin, immolĂ© aux commencements du temps, afin que, de son corps, le Monde puisse naĂ®tre […] A cĂ´tĂ© de la reconstitution symbolique de Prajapati, un processus de rĂ©intĂ©gration s’effectue dans l’officiant lui-mĂŞme […] Comme l’écrit Ananda Coomaraswamy, l’unification et l’acte de devenir soi-mĂŞme reprĂ©sentent Ă  la fois une mort, une renaissance et un  mariage. [17]». C’est prĂ©cisĂ©ment ce processus, dans un autre ordre, qui est racontĂ© dans La Vision d’Arisleus contenue dans la Tourbe des philosophes, texte de la tradition hermĂ©tique : mariage de Gabertin et de Beya, leur mort, leur rĂ©surrection et l’enfantement de leur fils.

A Essarois, en Côte-d’Or à côté de Châtillon-sur-Seine, a été découvert, au XIXème siècle, un coffret en pierre calcaire. Sur le couvercle est sculptée une femme nue, à la coiffure rappelant celle de Cybèle, tenant des bâtons ou des chaînes. Sous les pieds de la femme, un crâne, aux quatre coins les symboles du soleil, de la lune, l’étoile à 7 branches et le sceau de Salomon. Des caractères arabes sont gravés autour de la femme nue. Sur les côtés du coffret, un autre crâne porté au bout d’une pique est figuré et on trouve aussi un être androgyne adoré par deux personnages à tête de chat.

La proximité d’Essarois avec les établissements templiers de Voulaines et de Bure a fait penser à certains auteurs à l’origine templière du coffret. Joseph von Hammer-Purgstall, à la lumière de ce coffret et d’un autre ressemblant découvert à Volterra en Toscane, alla jusqu’à y voir la preuve de l’influence de l’Islam sur l’Ordre du Temple ainsi que ses dérives gnostiques, ophites précisément. Les Ophites sont un avatar de la secte des Naassènes christianisée, adorateurs du Serpent. Loiseleur et Genty interprétèrent le décor des coffrets comme des symboles alchimiques, reconnaissant la femme nue comme le Mercure androgyne des philosophes[18].

 


[1] HervĂ© Masson, « Dictionnaire initiatique et Ă©sotĂ©rique Â», Editions Trajectoire, p.31

[2] Christian Jacq, « Le message des constructeurs de cathĂ©drales Â»,  J’ai lu – Editions du Rocher, p. 86

[3] HervĂ© Masson, « Dictionnaire initiatique et Ă©sotĂ©rique Â», Editions Trajectoire, p. 160

[4] Philippe Walter, « La mĂ©moire du temps, fĂŞtes et calendriers de ChrĂ©tien de Troyes Ă  la Mort Artu Â», Champion, p. 135

[5] Jean Lafond, PrĂ©face Ă  « L’AstrĂ©e Â», Gallimard, p. 30

[6] Mircea Eliade, « MĂ©phistophĂ©lès et l’Androgyne Â», Folio-Gallimard, p. 157

[7] Chaoying Sun, « Rabelais, mythes, images et sociĂ©tĂ©s Â», DesclĂ©e de Brouwer, p.225

[8] ibid., p. 231

[9] Jean Chevalier et Alain Gheerbrant « Dictionnaire des symboles Â», Robert Laffont, p. 596

[10] ibid., p. 151

[11] Tristan Hannaniel, « Les controverses du christianisme Â», Bordas

[12] Marie Delcour, « Hermaphrodite,. Mythes et rites de la bisexualitĂ© dans l’AntiquitĂ© classique Â», p. 36

[13] Paulette Duval, « La pensĂ©e alchimique et le conte du graal Â», Champion, p. 242-243

[14] Catherine Louboutin, « Au nĂ©olithique, les premiers paysans du monde Â», Gallimard, p. 109

[15] Mircea Eliade, « MĂ©phistophĂ©lès et l’Androgyne Â», Folio-Gallimard, p. 161

[16] ibid., p. 168

[17] ibid., p. 139-140

[18] Alain Lameyre, « Guide de la France templière Â», Tchou, p. 147-152