Partie II - Voyage dans le temps   Chapitre XI - Gilles de Rais   

Gilles de Rais est né au château de Champtocé, dans la tour noire selon la légende, en 1404. Il est le fils de Guy de Laval-Blaison et de Marie de Craon, dont le mariage mettait un terme au conflit issu de la succession de Jeanne de Rais. Le duc de Bretagne et le roi de France cherchaient à attirer ses domaines dans leur mouvance. Jeanne fut mariée successivement au limousin Roger de Beaufort, frère du pape d’Avignon Grégoire XI, puis à Guillaume l’Archevêque, seigneur de Parthenay. Le nouveau pape excommunia Jeanne pour bigamie, tandis que Jean IV de Bretagne la faisait prisonnière, et lui échangeait Rais et ses terres du diocèse de Nantes contre d’autres en Cornouaille. La famille de Jeanne fit appel au roi de France qui condamna le duc à restitution et amende. Sans héritier, la dame de Rais choisit comme successeur Guy de Laval, puis se ravisant, Catherine de Thouars, veuve de Pierre de Craon qui tenta d’assassiner le connétable Olivier de Clisson. Jean de Craon, leur fils, est le grand-père de Gilles de Rais qui perdit ses parents en 1415. Jean de Craon, faisant casser leur testament, devint le tuteur de Gilles et de son frère René. Après quelques prétendantes, Gilles fut marié avec Catherine de Thouars, de la famille de son homonyme, d’abord après enlèvement, puis solennellement en 1422 à Chalonnes-sur-Loire en l'église Saint-Maurille. Gilles, conseillé par Jean de Craon, se saisit des terres de la mère de sa femme, Béatrice de Montjean, qui fut même retenue prisonnière. Malgré l’intervention de membres du parlement de Poitiers qui furent maltraités, Gilles de Rais conserva ces biens mal acquis.

La fortune de Gilles de Rais semble avoir été surévaluée. En effet le rapport des domaines ravagés par la guerre de Cent ans était maigre. Il y avait bien les salines de la région de Bourgneuf-en-Retz, mais l’envasement progressif des canaux en diminuait le revenu. Restait les droits de péage à Champtocé et Ingrandes qui pressuraient les bateliers.

Arthur de Richemont, frère du duc Jean V de Bretagne, fut le premier maître de Gilles de Rais. Désigné connétable de Charles VII à Chinon en 1425, il est disgracié en 1426 après qu’il perdit la bataille de Saint-James-de-Beuvron et que le duc de Bretagne reconnaît le traité de Troyes de 1420 qui fait d’Henri V l’héritier de la couronne de France. Gilles, l’été 1427, sous le commandement de Jean de Craon puis d’Ambroise de Loré, participe à la prise de diverses cités dont Malicorne, face aux Anglais. Gilles se montre fastueux, ce qui attire l’attention de la Cour de Charles VII en demande de subsides pour la guerre de reconquête. C’est ainsi que de 1428 à 1433 il sert Georges de La Trémoille et suivra son sort. Autrefois au service des Bourguignons, La Trémoille passera au service de Charles VII tout en cherchant à ménager ses anciens maîtres. Gilles de Rais est à Chinon lorsque Jeanne d’Arc rencontre le roi. Il est de la libération d’Orléans, et financera les représentations du Mystère d’Orléans de 1435 qui feront à son personnage une place de choix. Il combat à Beaugency, puis à Patay. Gilles de Rais est nommé maréchal, et recevra la distinction d’aller chercher la Sainte Ampoule à l’abbaye de Saint-Rémy pour le sacre de Charles VII accompagné du maréchal de Boussac, du seigneur de Graville et de l’amiral Louis de Culant. Devant Paris, il abandonne Jeanne d’Arc, obéissant aux ordres de retraite de l’armée royale.

Gilles de Rais signe une reconnaissance de dette de 260 écus d’or à Louviers pendant la captivité de Jeanne à Rouen. Or en mars 1431, le Bâtard d’Orléans était aller rejoindre La Hire en Normandie où celui-ci était entré en campagne dès décembre 1429. Les Anglais assiégeaient Louviers qui, des renforts étant venus d’Angleterre, ne capitula qu’en octobre 1431. La présence de Gilles à Louviers peut laisser penser qu’il participait à cette campagne qui si elle avait réussit, aurait permis la libération de Jeanne.

Un fort parti mené par Richemont auquel étaient associés les Angevins, avec Yolande d’Aragon et son fils Charles d’Anjou, les Laval, le duc d’Alençon, s’oppose à La Trémoille qui sera blessé légèrement et enlevé en 1433 à Chinon. Jean de Bueil, Pierre de Brézé et Prégent de Coëtivy, futur gendre de Gilles de Rais, l’emmènent à Montrésor. Charles VII acquiesce, et Richemont revient en grâce.

Gilles de Rais est écarté du clan Richemont, et se retrouve simple chef de bande menant des coups de mains et des brigandages en Anjou et dans le Maine. En 1436 il fait même enlever un prêtre d’Angers, ancien familier de Jean de Craon, l’accusant d’avoir soutenu contre lui le roi, les Angevins et les Laval. Il devra le libérer sous les instances du duc et de l’évêque.

Ici intervient l’épisode de la fausse Jeanne, dit la Pucelle du Mans, qui confessa son imposture à Charles VII. Entre temps elle alla trouver Gilles de Rais dans ses terres et reçut de lui des hommes pour guerroyer, sans résultat, dans la région.

Pour Jean Grimod, partisan de la survivance de Jeanne d’Arc, il ne faut pas la confondre avec Jeanne des Armoises, qui apparut sous le nom de Claude à la Grange aux Ormes, près de Saint-Privat, à côté de Metz. Reconnue par les frères de Jeanne d’Arc, honorée à Orléans qu’elle visita en 1439, alors que s’y trouvaient semble-t-il Charles VII et Isabelle Romée. Elle épousa, avant le 7 novembre 1436, Robert des Armoises dont le roi René avait confisqué la seigneurie de Tichemont. Le Bourgeois de Paris dans son journal parle d’une fausse Pucelle, ayant été reçue à Orléans, et ayant eu deux enfants, confondue par l’Université de Paris. Or, la Dame des Armoises n’eut pas d’enfant, et le Bourgeois de Paris, partisan des Bourguignons, est plutôt sujet à caution. Ce qui me fait parler de cette Jeanne des Armoises c’est le fait qu’elle mourut probablement en 1449 au château de Jaulny, en Meurthe-et-Moselle, commune traversée par la diagonale Ban-Saint-Martin – Briscous. Elle est enterrée à Pulligny-sur-Madon.

Le nom même de la Dame des Armoises éclaire l'aspect mythologique de l'aventure de Jeanne d'Arc. Le mot " Armoise " est tiré du nom de la déesse Artémis. La plante armoise fut créée par cette divinité et avait la même action bienfaisante en faveur des femmes, tant en régularisant leur cycle qu'en les assistant lors des accouchements. Elle passait pour être un talisman contre la fatigue. Un dicton français annonce " Qui portera armoise par le chemin ne se sentira jamais las ". Déjà Pline l'Ancien la signale dans son Histoire Naturelle en conseillant au voyageur d'en porter toujours un rameau. La tradition voulait qu'on en portât soit une couronne sur la tête, soit une guirlande autour de la taille pour danser devant le feu de la Saint-Jean, puis qu'on la jetât ensuite dans les flammes afin d'être immunisé contre la maladie pendant l'année à venir, d'où ses surnoms de Couronne de Saint-Jean, Ceinture de Saint-Jean, Herbe à cent goûts, Remise, Artémise, Herbe de Saint-Jean, Herbes de feu, Tabac de saint Pierre.

" La Jeune Fille à l'Arc d'Argent que les Grecs enrôlèrent dans la famille olympienne était le personnage le plus jeune de la triple Artémis, " Artémis " étant encore le nom de la Triple-déesse-Lune ; elle avait donc le droit de nourrir ses biches de trèfle, symbole de la trinité. Son arc d'argent représentait la nouvelle lune. "

Alors que Zeus lui demandait le cadeau qu'elle voulait recevoir, Artémis répondit aussitôt : Je t'en prie donne-moi une éternelle virginité, autant de noms que mon frère Apollon, un arc et des flèches semblables aux siens, la fonction d'apporter la lumière, une tunique de chasse couleur safran avec une bordure rouge et courte jusqu'aux genoux… ".

Est-ce jouer sur les mots que dire que Jeanne qui fit le projet de " bouter les Anglais hors de France " voulait les chasser comme gibier car ils furent nombreux à périr.

En 1435, la famille de Gilles de Rais fait rédiger un Mémoire lui reprochant ses folles dépenses non chiffrées, en restant dans le vague, et mettant en doute sa santé mentale. Aussi elle obtient des lettres d’interdiction de la part du roi qui font défense à Gilles de Rais de s’aliéner ses domaines. Gilles n’en tiendra pas compte. Le duc Jean V de Bretagne se portera acquéreur de rentes sur la châtellenie de Bourgneuf-en-Retz et sur Princé, de La Motte-Achard. Il annexera aussi Champtocé malgré l’opposition du duc d’Anjou.

Parmi les dépenses qu’on reprochait à Gilles de Rais figure la chapelle seigneuriale de Machecoul, dont la confirmation de la création date de 1435, et fondée en mémoire des Saints Innocents. Le massacre des Innocents était alors en vogue. A Paris, Nicolas Flamel se fit enterrer, à sa mort en 1417, au cimetière des Innocents Il y fit peindre des figures tirées du livre qui le lança sur la voie du Grand Œuvre. On retrouve dans son œuvre de nombreuses mentions de leur massacre dans une signification alchimique.

Gilles de Rais rechercha lui aussi la transmutation des vils métaux en or. L’alchimie ne fait pas partie des chefs d’accusations de son procès, même si l’Art royal fut condamné par le pape Jean XXII en 1317 par le décret Spondent quas non exhibent (Ils promettent ce qu’ils ne peuvent pas produire…). Gilles envoya quérir des experts, à Angers où il avait acheté un grimoire, puis en Italie. Son cousin Gilles de Sillé, un de ces capitaines, dépêcha Eustache Blanchet, un de leur familier, qui ramena trois mages italiens : Antoine de Palerme, François Lombard et François Prelati. Gilles de Rais sera toujours dans le besoin, ce qui laisse à penser que leurs recherches furent vaines.

Si la rumeur des crimes s’étendait dans le pays alentour, une action en justice ne fut entamée qu’après l’affaire de Saint-Etienne-de-Mer-Morte. Gilles de Rais avait vendu cette seigneurie à Guillaume le Ferron, évêque de Léon et frère de Geoffroy le Ferron trésorier du duc de Bretagne. Gilles voulut la reprendre de force et entra dans l’église avec des hommes armés et s’en prit à Jean le Ferron, autre frère de Guillaume, clerc tonsuré, qui consentit à restituer le domaine mais qui fut tout de même emprisonné. Le duc de Bretagne réagit en envoyant Guillaume le Ferron et quelques-uns de ses officiers raisonner Gilles de Rais qui les fit aussitôt prisonnier. C’en était trop, une armée ducale reprenait Saint-Etienne-de-Mer-Morte, et celle de Richemont assiégeait Tiffauges. Gilles fut arrêté à Machecoul le 15 septembre, bien que Prelati lui assurât qu’il ne risquait rien.

Il y eut deux procès à Nantes : civil mené par le parlement de Bretagne, dont Pierre de l’Hôpital était le président, pour crime de félonie et crimes de sang ; et ecclésiastique mené par l’évêque Jean de Malestroit pour les crimes contre les enfants, l’orthodoxie et les immunités ecclésiastiques.

Le 18 septembre, Gilles comparaît devant Pierre de l’Hôpital, pour les meurtres d’enfants sur lesquelles les auditions n’avaient pas encore été faites, et l’agression contre Jean le Ferron. Plus tard, à partir de ce même jour, les auditions sur les disparitions conduisent à 82 dépositions. Le 19, Gilles est accusé d’hérésie par le procureur de la cour épiscopale. A partir du 28 septembre jusqu’au 11 octobre, l’évêque reçut les témoignages de 9 parents d’enfants disparus entre 1438 et 1440.

Le 13 octobre, le procureur lit à Gilles de Rais l’acte d’accusation de 49 articles. Celui-ci récuse ses juges et fait appel au roi, ce qui lui est refusé. Il traite ses juges de simoniaques et de ribauds. Le 16 et 17, Prelati, Blanchet, Griart et Poitou font des aveux. Le 21, alors qu’on lui avait laissé un délai avant d’être torturé, Gilles de Rais avoue à son tour les meurtres d’enfants, les horreurs qu’ils subissaient, ainsi que les évocations de démons. Le 23, les sentences contre Griart et Poitou sont prononcées. Prelati et Blanchet échappent à la mort. Le 25, la cour ecclésiastique condamne Gilles de Rais à être excommunié, mais il est réintégré aussitôt après avoir imploré la cour. La cour civile au château du Bouffay impose une amende de 50 000 écus d’or pour le crime de félonie, et prononce la sentence de mort pour les autres crimes. Le 26 octobre, trois gibets sont dressés. Poitou et Griart sont pendus et brûlés. Gilles échappera aux flammes en raison de son repentir. Son corps retiré du bûcher, sera enterré dans l’église des Carmes qui contenait les tombeaux des anciens ducs de Bretagne et contiendra celui de François II.

Prelati réussira à s’échapper et sera fait gouverneur de la Roche-sur-Yon par René d’Anjou ! Il réunit certains de ses anciens compagnons dont Eustache Blanchet. Mais sa tyrannie, en 1445, le pousse à emprisonner Geoffroy le Ferron, trésorier de Bretagne, qui, relâché, le fait pendre.

 


Sources

http://larodz.chez-alice.fr/plantes/armoise.html

Robert Graves, Les mythes grecs, Hachette